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pierre le vigan - Page 17

  • Sauver la ville !...

    Nous publions ici un point de vue de Pierre Le Vigan sur la ville (version remaniée d'un article paru initialement dans la revue Rébellion). Pierre Le Vigan, passionné depuis toujours par la question de la ville et urbaniste de profession, a récemment publié un essai intitulé La banlieue contre la ville, aux éditions de La Barque d'or.

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    La ville malade de la banlieue : sauver les villes des mégavilles

    Hubert-Félix Thiéfaine chantait « Quand la banlieue descendra sur la ville  ». C’est l’expression de la vieille peur de l’encerclement de la ville par la banlieue. Une peur qui s’appuie sur la crainte des émeutes urbaines, sur la peur des immigrés qui peuplent la banlieue, sur un nœud de réalités tout comme de fantasmes. La banlieue apparaît ainsi « contre » la ville, comme son contraire : l’éloignement de tout à la place de la proximité de tout que l’on connaît dans les centres villes. Les prolétaires plutôt que les « cadres sup », les populations « aidées » plutôt que les populations « aisées ». La grisaille plutôt que le clinquant. Les enjoués de la mondialisation plutôt que ses victimes.

    Il y a donc bien des facteurs d’opposition entre ville et banlieue. Mais l’une et l’autre se côtoient. Elles sont contre, tout contre l’autre. En d’autres termes, l’une se nourrit de l’autre. La misère de l’une, la banlieue, est évidente (à l’exception de quelques banlieues aisées qui sont une minorité), mais la misère dans les centres-villes existe aussi. Une misère moins matérielle que morale, relationnelle, existentielle. Disons le autrement : ville et banlieue forment système. C’est le système de la modernité. Ville et banlieue souffrent de ses signes, de ses marques, de ses manques. La modernité fait des dégâts partout.

    C’est ce que j’ai essayé de montrer dans mon livre, La banlieue contre la ville (édition « La barque d’or »). Ville et banlieue : de quoi parle-t-on ? Les mêmes mots désignent des réalités qui ne sont plus celles de 1910 ni de 1950. Les banlieues étaient les faubourgs de la ville. Elles étaient le prolongement de la ville et une transition vers la campagne. Le gigantisme est venu bouleverser cela. La banlieue s’étend désormais à perte de vue dans les mégalopoles telle la région parisienne. Paris, la ville historique de Paris, même avec ses quartiers les plus récents, ceux qui n’ont été urbanisés que sous le Second Empire, n’est plus qu’un petit point au centre de l’agglomération parisienne. 2 millions d’habitants vivent à Paris, plus de 12 millions vivent à coté de Paris dans les périphéries lointaines de l’agglomération, qui déborde au-delà même de l’Ile de France, en Picardie, en région Centre, vers la Champagne Ardennes. Tous les gouvernements de la (fausse) droite et de la (fausse) gauche poursuivent le même but, faire de Paris une mégaville encore plus « compétitive ». Cela veut dire : encore plus financiarisée, encore plus spéculative, encore plus invivable pour la masse de ses habitants. « Nicolas Sarkozy veut donner un nouvel élan au Grand Paris » dont le projet « va jusqu’au Havre », indiquaient les Echos du 10 octobre 2011, chiffrant à 32 milliards le montant des investissements en infrastructures que cela requerra d’ici à 2025. Si cette dépense n’empêchera pas nombre de Parisiens à essayer de fuir leur mégalopole, comme un million d’entre eux l’ont fait en 5 ans, bien plus nombreux sont les nouveaux habitants qui arrivent à Paris, venus, souvent, des quatre coins du monde et de ce que l’on appelait le « tiers monde », où le manque de perspective attire dans les grandes villes européennes, avec les encouragements et les aides mises en place par l’hyperclasse . Car celle-ci poursuit son objectif : elle ne fait pas du social pour le plaisir de se donner bonne conscience, elle fait un minimum de social, uniquement en direction des couches les plus défavorisées, et en vue d’un objectif précis. Cet objectif c’est de peser à la baisse sur les salaires des travailleurs originaires du pays d’accueil, de leur faire accepter des reculs sociaux, par une concurrence de main d’œuvre peu exigeante car elle n’a pas le choix. L’immigration de masse est une stratégie du capital. Réserver les HLM aux plus pauvres, généralement issus de l’immigration, est un aspect de cette stratégie, et nous ramène au coeur des questions de la ville, car c’est un moyen pour le patronat de moins payer ces travailleurs (cf. Alain de Benoist in Eléments 139,2011, « Immigration, l’armée de réserve du capital »et le Spectacle du monde, octobre 2010, « L’immigration en France, état des lieux »). L’objectif du capital, c’est tout simplement un financement public le plus élevé possible de la reproduction de la force de travail permettant à la part privée, patronale, de ce financement, d’être la plus faible possible. C’est uniquement en ces termes - que l’on peut qualifier de marxistes et qui sont en tout cas réalistes - que ceci peut se comprendre et non, comme paraissent le croire certains, parce que les pouvoirs publics seraient animés d’une pseudo préférence étrangère. Celle-ci n’est qu’une préférence pour l’immigration qui n’est elle-même qu’une préférence pour les bas salaires d’une part, pour la division et l’affaiblissement de la classe ouvrière d’autre part.

    L’évolution contemporaine de la ville s’analyse en fonction de cela. En périphérie se situent les zones d’habitat, loin des entreprises, très loin des usines, afin que les travailleurs ne puissent s’organiser et soient usés par le travail, tout comme les chômeurs ne peuvent non plus s’organiser dans ces immenses zones où chacun est isolé de l’autre : car la densité des banlieues est dérisoire face à celle des centres-villes. Au centre des agglomérations se situent les espaces festifs (Festivus festivus disait Philippe Muray), où il s’agit de « s’éclater », où les élus locaux aménagent des espaces de plus en plus « jouissifs » (dixit Bertrand Delanoé), afin de faire oublier les dégâts de la mondialisation, les délocalisations, la liquidation de l’industrie, tout particulièrement en France. Objectif ultime : tuer toute envie de politique, celle-ci étant noyée dans de vagues fêtes citoyennes ou communautaires (participation des élus à des ruptures du jeune, encouragements à tous les replis communautaires, etc).

    Partout les centres-villes sont devenus inabordables pour les classes populaires ou moyennes. Ils sont devenus des musées, sans artisans, sans entreprises autres que des commerces. Immigrés pauvres entassés dans des logements vétustes, bobos charmés par la « diversité » mais très habiles en stratégie d’évitement de celle-ci quand il s’agit de scolariser leurs enfants, le peuple est en fait chassé du cœur des grandes villes. Les artisans s’y font de plus en plus rares, les petites industries y ont disparu, les services et la tertiarisation ont remplacé les ouvriers.

    Face à cela, il faudrait rétablir la possibilité de liens sociaux plus forts. Cela nécessiterait deux choses. La première c’est la densité, insuffisante en banlieue, ce qui a pour conséquence que ces banlieues sont trop étendues. Trop étendues pour des raisons écologiques, trop consommatrices en énergie notamment pour les transports, trop souvent individuels (usage excessif de la voiture rendu indispensable par la carence des transports en commun). La seconde chose qui serait nécessaire, c’est de développer la mixité habitat-travail, avec donc l’objectif d’une réduction des temps de transport, avec un nouvel urbanisme abandonnant la solution trop facile et inepte de séparer totalement zones d’activité et d’emploi. Ce sont les deux axes majeurs à développer. Comme conséquence de leur application, les liens entre travailleurs, qui sont aussi des habitants seraient facilités, les luttes, à la fois dans le domaine du travail et dans le domaine de l’habitat seraient rendues plus aisées, les collectifs habitants-travailleurs pourraient intervenir dans la gestion des usines, des ateliers, des immeubles. Les luttes sociales redeviendraient possibles à chaque fois qu’il serait nécessaire de s’opposer à la logique du capital, l’organisation des sans travail, les initiatives pour créer des entreprises sans capital, des coopératives ouvrières de production, des entreprises associatives, de l’économie solidaire seraient là aussi facilitées.

    En somme, il serait possible de refaire une société forte, autour de la valeur du travail bien sûr mais pas autour du « travailler toujours plus », a fortiori quand il s’agit de travailler toujours plus pour le capital. La mise hors d’état de nuire des trafiquants de drogue et autre pourrait être réalisée par les habitants-travailleurs eux mêmes dotés de leur propre garde nationale civique dans le même temps que le coeur de la politique nationale (et européenne bien sûr) devrait être de lutter contre le parasitisme financier, le blanchiment de l’argent sale, la délinquance civique tout autant qu’économique et ses réseaux.

    La ville doit être conçue pour le lien social. Elle doit répondre aux besoins éthologiques de l’homme : enracinement, repères, intimité. L’anonymat est aussi un besoin dans les villes, mais c’est son excès que l’on constate, c’est son excès qu’il faut mettre en cause. Pour répondre au besoin d’enracinement, il faut rapprocher habitat et lieux d’activité, il faut voir à nouveau la ville comme un paysage, et réhabiliter la notion d’identité locale, de lieu, de site. Il faut, par la densité, réduire l’étendue des villes, combattre l’étalement urbain, retrouver la coupure franche ville-campagne. C’est que j’essaye de montrer dans mon analyse des rapports de l’homme et de la ville. Montrer pour convaincre. Convaincre pour transformer.

    L'avenir de la ville n'est écrit nulle part. Entre le grand ensemble et la marée pavillonnaire, d'autres voies sont possibles. Le devenir-banlieue de la ville n’est pas inéluctable. Les idées de notre modernité ont mené la ville là où on sait. D'autres idées peuvent la mener ailleurs.

    Pierre Le Vigan (version remaniée d'un article paru dans Rébellion, novembre-décembre 2011)

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  • A la rescousse des gens ordinaires...

    Le nouveau numéro de la revue Rébellion (n°51) vient de paraître. Il aborde la question cruciale de la relocalisation et s'intéresse aux livres de Jean-Claude Michéa, Le complexe d'Orphée, et de Pierre Le Vigan, La banlieue contre la ville.

     

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    Au sommaire :

    Edito : Le culte du cargo capitaliste. 

    Evénement : Michéa à la rescousse des gens ordinaires. Par David L'Epée 

    Actualité : Niveau de vie, la chute finale ! 

    International : Russie ne nous déçois pas ! Par Costanzo Preve. 

    Alternative Economique : Demain le Localisme ? 

    Alternative Politique : Relocalisons la Révolution. 

    Combat des idées : Pourquoi je suis Socialiste Révolutionnaire. 

    La bibliothèque du militant. 

    Culture : Death In June, parano dans un bunker - The Specials, Rudie pour la vie. 

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  • Pour la République impériale européenne !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné à Xavier Eman par Pierre Le Vigan, dans lequel ce dernier aborde la question européenne sous l'angle de la grande politique. Pierre Le Vigan, qui vient de publier La banlieue contre la ville (La barque d'or, 2011), a, par ailleurs, dirigé en 2009, avec Jacques Marlaud, un ouvrage collectif consacré à l'Europe et intitulé La patrie, l'Europe et le monde (Dualpha, 2009) avec des contributions de Michel Ajoux, Yves Argoaz, Alain de Benoist, Jacques Delimoges, Georges Feltin-Tracol, Philippe Forget, Christophe Gauer, Miodrag Jankovic, Patrick Keridan, Michel Lhomme, Guy Portal, Bernard Yack.

     

     

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    Entretien avec Pierre Le Vigan

    Pour reprendre l’un des termes du titre de l’ouvrage collectif que vous avez dirigé avec Jacques Marlaud, « La Patrie, L’Europe et le Monde », pensez-vous que la « patrie » puisse se différencier, en France, de la « nation » et si oui quelle est la nature de cette distinction ?

    « Le vrai patriote s'inquiète, non du poste qu'il doit occuper dans la patrie, mais du rang que la patrie doit atteindre parmi les nations. » disait le journaliste québécois Jules-Paul Tardivel dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est dire que les deux termes « patrie » et « nation » ont longtemps été synonymes. La patrie c’était notre nation, celle qu’on aimait. Dans Les deux patries Jean de Viguerie émet la distinction entre la patrie concrète, respectable et aimable, et la « patrie » du patriotisme révolutionnaire de 1789-93 ; idéologique, meurtrière (et, accessoirement, à laquelle Maurras se serait rallié en grande partie, dit-il, à juste titre selon moi). C’est une distinction intéressante mais un peu dépassée : il n’y a plus de patrie sans dimension « idéologique ». On peut aussi distinguer les « petites patries » (les provinces) de la nation, acteur historique. En vérité, on confond trop souvent les attachements géographiques locaux, respectables, et les patries. Les patries ce sont les attachements qui sont aussi des engagements. La patrie n’est ainsi pas autre chose que ce qu’a été historiquement la nation française, et la nation serbe, allemande, russe, …. Sachant que l’histoire a été et reste ouverte et qu’ainsi, il eut pu exister une patrie bourguignonne si un Etat-nation bourguignon avait pu s’imposer durablement face à ce qui commençait à être la France et l’Etat capétien. Idem pour la Bretagne, l’Ukraine, la Silésie, etc.

     

    Entre revendications locales et problématiques internationales, l’échelon national est-il selon vous encore légitime et valide ?

    L’ « échelon » national n’est pas un terme très valorisant. La nation reste le niveau privilégié de la décision et de l’existence historique. C’est aussi, comme l’a rappelé Max Gallo, le meilleur niveau de démocratie possible. Pourquoi ? Parce que, aussi affaiblie que soit l’idée d’appartenance nationale, et surtout chez les élites infidèles à l’esprit du peuple, la nation reste unie par un élément essentiel : la langue, et aussi une histoire partagée, y compris une histoire des luttes sociales et filiation d’idées politiques et sociales.

     

    Que répondriez-vous à ceux qui affirment que critiquer (ou même simplement interroger..) les concepts de nation et de nationalisme revient à faire le jeu du mondialisme et du cosmopolitisme ?

    Je ne suis pas « complotiste ». On peut critiquer en toute bonne foi les idées de nation et de nationalisme, ou n’importe quelle idée d’ailleurs. Deux remarques : ces 2 termes ne signifient pas la même chose. Défendre l’idée de la pérennité de l’idée de nation ne veut pas dire être nationaliste. Enfin, « être nationaliste » mériterait une définition. Plus personne ne défend un nationalisme offensif, conquérant, belligène, vis-à-vis des autres nations. Les « nationalistes révolutionnaires », ceux qui se disent tels, sont aussi des nationalistes européens. Il s’agit en fait pour eux d’affirmer un nouvel être ensemble, une nouvelle façon de vivre dans une nation révolutionnée, un co-nationalisme des peuples européens, libérés, hier du condominium américano-soviétique, aujourd’hui, libérés de l’unilatéralisme américain. Ce que l’on appelle « nationalisme », depuis 1945, signifie en Europe que l’on veut lier les aspirations d’émancipation nationale aux aspirations sociales. Cela signifie dénoncer la colonisation mentale dont les peuples européens sont victimes. Cela signifie aussi dénoncer la dilution de nos identités dans les excès des politiques d’immigration. C’est aussi, pour les plus lucides, comprendre que ces processus viennent d’une conception purement marchande de la vie et de nos sociétés.

    En ce sens on peut, bien entendu, critiquer les insuffisances des positions des « nationalistes révolutionnaires » français, italiens, allemands, etc, qui se disent souvent aussi « nationalistes européens » mais je ne vois pas très bien comment leur dénier une certaine pertinence dans leurs analyses et dans leur combat contre une Europe techno-bureaucratique. De mon coté je défends sans concession le principe que les « nationaux-révolutionnaires », pour reprendre ici l’expression allemande, ne peuvent l’être de manière cohérente qu’en étant partisans de la démocratie la plus authentique, celle dont nos institutions ne sont souvent qu’une caricature. L’Etat doit être l’Etat démocratique du peuple tout entier : démocratie directe quand c’est possible, référendum d’initiative populaire, mais aussi bien sûr processus électoraux classiques dont ne peut faire l’économie – n’en déplaise aux rousseauistes de droite comme de gauche –, à condition qu’ils soient équitables, avec une dose de proportionnelle par exemple.

     

    Pour vous, au delà de leurs appartenances nationales respectives, qu’est-ce qui fonde à la fois la spécificité et l’unité de l’homme européen ?

    Pour moi l’homme européen n’existe pas. C’est une fiction, une figure de rhétorique, tout comme « l’homme français » d’ailleurs dont on se gargarisait avant 1940. Je crois que le mythe de l’histoire commune des indo-européens a fait perdre beaucoup de temps aux « bons européens » comme disait Nietzsche. C’est un mythe « hors sol » comme l’a bien vu Philippe Forget. Les Kurdes, les Afghans sont d’origine indo-européenne. Cela n’aide en rien à penser leur intégration ou leur non intégration. Je me sens beaucoup plus proche d’un Africain francophone que de ces hypothétiques « héritiers » des indo-européens. La vérité est que des fétiches d’intellectuels ont été confondus avec des concepts opératoires. Il n’y a pas d’ « unité de l’homme européen » tout simplement parce qu’il n’y a pas de langue commune des Européens et donc parce que l’Européen n’existe pas, tout comme l’ « Africain » n’existe pas – même s’il y a des Africains. Ou de même que l’ « Asiatique »  n’existe pas : qu’y a-t-il de commun entre un Chinois et un Hindou ? Quasiment rien. L’unité de l’homme européen, on la trouve… aux Etats-Unis d’Amérique, avec des descendants d’Européens qui parlent une langue commune, l’anglais. Et qui ont un patriotisme commun. C’est une ambition commune, un rêve commun, la « nouvelle frontière », qui a créé l’unité des Européens exilés devenus des… Américains, y compris au demeurant des noirs non européens devenus tout aussi Américains par le partage d’un rêve commun. Ce qui compte, c’est la common decency. Je voyais récemment des individus originaires d’Europe de l’est manger une boite de cassoulet dans le métro. Au-delà du coté pittoresque, on voit bien que ce n’est pas la question des origines ethniques ou même religieuse qui est le critère, c’est celui des mœurs, c’est la décence ordinaire, commune.

    Le constat que l’homme européen n’existe pas ne m’empêche pas d’être pour l’Europe, mais comme pur constructivisme. Celui qui croit être pour l’Europe pour des raisons hégéliennes – et ils sont nombreux à droite – se trompe, se raconte des histoires et nous raconte des histoires. Des raisons hégéliennes, c’est dire : l‘Europe va retrouver son propre, elle va faire retour à elle-même, l’ « homme européen » (sic) va advenir à l’histoire et à lui-même, … ce sont là fantaisie d’intellectuels. Raisonnements circulaires qui ne sont surtout pas des raisonnements. Qui ne partent pas du réel et ne vont pas au réel. L’Europe sera une construction artificielle mais réelle comme la France l’a été ou l’Europe ne sera rien (ce qui n’est pas à exclure !). Tout ce qui est culturel est artificiel or une construction politique est forcément culturelle et n’est que cela.

     

    Pensez-vous que le régionalisme puisse être, en dehors de quelques régions à forte identité comme le pays Basque ou l’Alsace, un concept actif et efficient et non simplement une utopie d’intellectuels ? Peut-on penser le régionalisme dans, par exemple, la Creuse ou la Touraine ?

    Il n’y a pas de régions ridicules. Mais en France, il n’y en a aucune qui soit devenue une nation. En Allemagne non plus d’ailleurs. Une chose est de constater qu’il y a eut des luttes pour le leadership national et plus encore impérial en Allemagne, avec par exemple les ambitions de la dynastie issue de la Bavière, les Wittelsbach, dynastie qui a d’ailleurs aussi essayé de s’imposer en Bohème, une autre est de croire que la Bavière a été une nation. C’est là confondre les logiques de pouvoir et les logiques de construction nationale. La vérité est qu’en Allemagne il n’y a eut qu’une nation, la nation allemande. On me dira peut être qu’il y a eut des patries. Qu’est ce à dire ? Si les patries ne sont pas des nations, ce ne sont que des nations qui ont échouées. Reprenons l’exemple du pays basque. En France c’est une province résiduelle, une partie du département des Pyrénées atlantiques, le reste du département étant constitué du Béarn, dont je suis en partie originaire. Soyons sérieux. Fait-on l’histoire avec quelques cantons ? Non, on ne fait pas l’histoire. On fait un « machin » comme le Kossovo. Un Etat–moignon. Et la pays basque espagnol ? Il est peuplé en immense majorité de non-Basques, d’Espagnols. N’y ont il pas leur place ? Bien sûr que si. Un peu d’esprit de grandeur jacobine – l’envie de faire de grandes choses ensemble et de parler au monde – n’est pas inutile face aux régressions mentales micro-identitaires sur de petites régions. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un Etat qui nous fasse rêver, d’un Etat porteur d’un projet. Ce dont nous avons besoin, c’est de la Grande Europe. C’est de l’Empire. C’est de l’Empire européen. On fait l’histoire avec des rêves, pas avec des calculettes.

     

    Rompre avec l’hyper-urbanisation, « relocaliser », faire revivre les campagnes beaucoup en rêvent, mais est-ce vraiment possible ? Selon vous, comment faudrait-il procéder pour atteindre ces objectifs ?

    Il faut une politique fiscale, budgétaire, financière nouvelle. Il faut mettre le paquet sur le développement des villes moyennes, de 50 000 à 300 000 habitants. Au-delà de quelque 500 000 habitants, c’est déjà très difficile à gérer. Il faut développer la densité urbaine. Construire dense, ce qui ne veut pas dire construire des tours, mais construire de la ville, produire de la centralité urbaine, limiter les banlieues de grands ensembles mais aussi les banlieues pavillonnaires, offrir des alternatives à la voiture mais ne pas persécuter les automobilistes qui n’ont pas le choix. Il faut une économie orientée, une économie dirigée, cadrée par de grands axes de choix publics, comme la filière nucléaire. Il faut un Etat stratège, fort mais limité, présent là où il faut mais pas envahissant. Il faut aussi un changement des mentalités : décoloniser les imaginaires de la marchandise. Sans pour autant s’arcbouter sur le mythe de la décroissance. Etre a-croissant cela suffit. On peut imaginer une décroissance avec autant d’injustices, de misère morale et sociale que la croissance. Est-ce cela que l’on veut ? Bien entendu, non. Aussi, plutôt que de décroissance, je parle de développement vraiment durable, ce qui veut dire surtout relocaliser, et mettre la France au travail. Les 35 heures je suis pour mais tout le monde doit travailler. Du travail pour tous mais tous au travail. La fainéantise soixante huitarde, très peu pour moi.

     

    Pour conclure, quel serait pour vous le cadre institutionnel « idéal » pour accompagner un renouveau européen ?

    C’est l’Empire européen. Un Empire républicain, ou si l’on préfère une République impériale mais pas au sens des Etats-Unis, qui sont plutôt une République impérialiste. Cet Empire doit être républicain c'est-à-dire que le modèle ne peut être une monarchie telle que l’Empire d’Autriche Hongrie, certes assez respectueux des diversités mais dont le caractère vermoulu ne faisait pas de doute. Une République, cela veut dire une structure historique qui articule les diversités sans les admettre toutes. Toute idée non républicaine tend à être trop laxiste quand à ce qui est intégrable et ce qui ne l’est pas. Il n’y a pas de place, par exemple, dans l’Empire républicain européen, pour l’excision. Ou pour la femme dont le visage est voilé. Toutes les différences ne sont pas admissibles. Certaines différences doivent mettre hors l’Empire. Pas de tolérance non plus pour le gamin se promenant en capuche. Il doit y avoir, pour qu’il y ait une existence historique de l’Europe, une façon européenne de se tenir, de parler, d’admirer, et un type éthique (je dis bien éthique et non pas ethnique) dominant, une figure dominante. Il doit y avoir une exigence esthétique en Europe impériale, portant sur l’art et les monuments, et un consensus sur ce qui est noble et sur ce qui ne l’est pas.

    L’Europe est en même temps très plurielle. Il y a la coupure entre les anciens empires romains d’Occident et d’Orient, coupure qui passe au milieu des Balkans. Il y a de ce fait l’évidence que l’ancien noyau carolingien doit être le moteur et le modèle mais ne peut ni ne doit uniformiser toute l’Europe. Il y a la question des limites de l’Europe. Celles-ci vont à coup sûr jusqu’à la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne. Les pays Baltes, l’Ukraine ont vocation à être indépendantes, elles sont européennes, mais se pose en même temps la question de leur statut. Elles ne doivent pas menacer la Russie et celle-ci en retour ne doit pas menacer leur indépendance. Pascal Lassalle a dit là-dessus des choses d’une grande justesse (« Faut-il se garder d’une ’’russophilie’’ excessive ? » 6 mars 2010) et je dois dire que je sors de sa lecture convaincu que l’Ukraine n’est pas seulement historiquement la « petite Russie » de Kiev mais qu’elle a une identité nationale réelle. L’Empire européen ne peut intégrer immédiatement la Russie mais il doit être fondé sur une communauté de civilisation à construire qui inclut la Russie, et qui est l’Eurasie au sens de l’Eurosibérie. C’est une réalité géopolitique et c’est dans le même temps un mythe au bon sens du terme, un horizon, une autre voie que le productivisme sino-américain. Sans tomber dans le désarmement économique unilatéral des idéologues de la décroissance ; il faut essayer ce que nous n’avons jamais essayé, c'est-à-dire le développement conditionné et soutenable, la croissance dans certains domaines et la décroissance dans d’autres domaines. On ne peut faire cela sur la base de l’idée [décroissante] que moins serait forcément toujours mieux. En outre, la nature humaine est le développement des capacités humaines. Il nous faut inventer un développement non productiviste. Alors, bien sûr, le cadre institutionnel de l’Empire, c’est la Confédération européenne, c’est une monnaie commune mais pas forcément unique (je pense aux pays de l’est européen qui ne sont pas prêts à adopter l’euro), et c’est une politique de défense, une politique extérieure commune, une politique d’immigration commune, et des axes communs en politique économique, fondés sur la relocalisation, l’économie autocentrée et la fin du libre échange mondial. Attention : si on croit que le temps est venu de grands ensembles impériaux homogènes on se trompe, ce sont des liens impériaux respectant les voies propres et l’autonomie de chaque peuple qui sont nécessaires. Regardez la Chine, elle gagnerait à être éclatée en 4 ou 5 ensembles associés entre eux, etc. Ce qui résoudrait accessoirement la question de Taiwan.

    Alors, l’idée d’Empire, c’est justement ne pas vouloir tout réglementer à partir d’un centre, l’idée de République c’est la condition de la démocratie – il faut un peuple avec des coutumes communes, une langue et des règles communes pour se comprendre et être en démocratie –, et... la démocratie, c’est l’objectif ultime. L’antidémocratisme, qu’il soit d’extrême gauche à la Alain Badiou ou d’extrême droite n’a jamais été ma tasse de thé. Le peuple doit décider de ses affaires, un point c’est tout. Encore faut-il qu’il y ait un peuple, un peuple sur sa terre. Et cela, cela se fait avec une République sociale, populaire et nationale. Et européenne bien entendu.

    Pierre le Vigan (propos recueillis par Xavier Eman, 8 octobre 2010)

     

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  • Remettre les idées à l'endroit !...

    Nous reproduisons ci-dessous la recension, que nous a adressée Pierre Le Vigan, de la récente réédition de l'essai d'Alain de Benoist, Les idées à l'endroit. Un ouvrage fondamental dont nous ne pouvons que conseiller la (re)lecture !...

     

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    Les idées à l’endroit

    Dans le domaine des idées il y a quatre grands secteurs. L’un est le sociétal : pour ou contre la liberté des mœurs, la vente réglementée des drogues, le mariage homosexuel, etc. On le voit : le sociétal renvoie aussi à la culture commune dominante, aux habitus, à l’anthropologie dominante. Un deuxième secteur est l’économique : nationaliser ou pas, exproprier les multinationales ou pas, diriger l’économie ou laisser-faire, financiariser ou pas, accentuer la mondialisation ou instaurer un protectionnisme européen, « libérer » le droit du travail ou restaurer des protections pour les travailleurs, etc. C’est de l’économique qui est aussi bien sûr du social. Un troisième secteur est l’institutionnel : quelle démocratie ? Parlementarisme, régime primo-ministériel ou présidentialisme ? Quelle place à la démocratie directe ? Référendum d’initiative populaire - et comment - ou non ? Quelles collectivités locales et pour quoi faire ? Quel mode de scrutin : majoritaire, proportionnel, à la plus forte moyenne, au plus fort reste ? Avec ou sans prime majoritaire ? Scrutin mixte ? Et là encore : avec quel objectif ? Il y a enfin un quatrième secteur : quelle politique internationale ? Quel ordre mondial voulons-nous ? Unipolaire autour des USA ? Ou pluraliste ? Une vision euro-atlantiste du monde ? Ou une vision eurasienne ? Ces 4 secteurs s’articulent. Bien des combinaisons sont possibles (les libertaires en matière de mœurs ne sont pas tous libéraux au plan économique par exemple). Mais toutes les combinaisons n’ont pas la même cohérence. Et certaines n’en ont même aucune. Ce qui les amène à ne pas durer. 

    Or, c’est la cohérence qui fait qu’une pensée existe et laisse des traces. C’est précisément dans la mesure où il a très tôt fait le choix de ne pas travailler en appui à un parti politique quel qu’il soit qu’Alain de Benoist a pu jouer ce rôle exigeant de tuteur de cohérence. Dans Les idées à l’endroit, il répondait voici 30 ans aux questions suivantes, voire à quelques autres : quelle vision du monde peut avoir un homme lucide et conscient des impasses – et des laideurs physiques et morales - du monde moderne ? Quelle vision de l’homme ? Quel rapport peut-on avoir ce que l’on appelle la droite, ou les droites ? Pourquoi le libéralisme n’est pas la solution ? Que peut-on penser d’un certain nombre de thèmes comme l’ordre, l’enracinement, l’autorité, la tradition ? Qu’est-ce que le totalitarisme, et surtout y a-t-il un nouveau totalitarisme contemporain ? Lequel ? Pourquoi s’est-il mis en place ? Comment ? Au bénéfice de qui ? Pour réprimer quoi ? Comment le combattre ? Quelle stratégie asymétrique, du faible au fort, peut-on essayer de mettre en place contre ce nouveau totalitarisme ? Et aussi : non pas quels goûts culturels devons-nous avoir ? Mais quelle hauteur de vue est susceptible de nous donner du discernement ? Et enfin, quelle politique internationale voulons-nous, et pouvons-nous ? Souhaitons-nous un monde unipolaire ou un monde pluraliste ? Sommes-nous du côté d’une coalition euro-atlantique, ou devons-nous penser en termes de solidarité eurasienne ? Bien entendu, tout se tient : si on est dans une démarche critique vis-à-vis du libéralisme on aura d’autant plus tendance à critiquer au plan institutionnel une démocratie purement procédurale tout comme un « patriotisme » purement constitutionnel à la Habermas et aussi bien sûr l’alignement sur Washington. Enfin, tout en étant favorable à la liberté des mœurs on considérera que la société n’a pas à valider des comportements qui relèvent de la sphère privée et n’apportent rien à sa solidité. Et ce parce que si les individus ont bel et bien des droits la société n’est pas la somme de droits individuels et encore moins le lieu où se réalisent les revendications indistinctes de tous les ayants-droits, réels ou auto-proclamés. C’est cela qu’aide à penser un livre de philosophie, et c’est cela qu’est Les Idées à l’endroit. Ces livres sont-ils si nombreux ? Tout porte à croire que non. Raison de plus pour le lire, ou pour le relire pour les plus agés des lecteurs d’Eléments. 

    L’auteur a bien entendu évolué, et enrichi notamment sa réflexion dans le domaine économique, allant de la critique de la domination de l’économie – la place excessive de l’économie dans nos sociétés - à des propositions plus concrètes sur les voies d’une autre économie, mutuelliste, communaliste, coopérative, autocentrée. Et puis dans ce livre écrit quand l’auteur avait de 30 à 35 ans bien des choses restent actuelles, relisons les passages sur l’immigration : l’essentiel y est, l’immigration comme arme du patronat, comme frein à l’innovation, comme liquidation des cultures (les deux, celle des immigrants qui arrivent, et la culture du pays d’accueil). Un livre à annoter. Comme tous les livres de références.

    Pierre Le Vigan 

    Alain de Benoist, Les idées à l’endroit, Avatar éditions (BP 43 91151 Etampes cedex), 357 pages, 36 euros.

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  • Education : le grand abandon...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan, cueilli sur Voxnr et consacré à l'éducation. Pierre Le Vigan vient de publier, aux éditions de La Barque d'or, un essai intitulé La banlieue contre la ville, disponible sur le site La barque d'or.

     

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    Education : le grand abandon
     
    Depuis Jacques Ellul nous savons que la modernité consiste à croire que tout problème a une solution technique. Il suffit en tous domaines de trouver la bonne technique : celle qui est la plus efficace. En matière d’éducation, nous en sommes là. Les pédagogues ont développé l’idée qu’il faut expérimenter le plus possible, et que des méthodes nouvelles permettront de surmonter les échecs de l’école. Il faudrait ainsi « apprendre à apprendre ». Comment ? Par petits groupes, par le travail « collectif », sous le patronage d’un « prof-animateur » et non plus de Monsieur ou Madame le professeur. Le tuteur remplace l’enseignant, qui était déjà une version dégradée du professeur. Le travail en petits groupes évite de se poser la question des notes individuelles, remplacées au mieux par une « évaluation » collective voire plus simplement par la validation d’un savoir-être : s’intégrer au groupe, réciter les mantras sur les « droits citoyens », les « écogestes », etc. Les petits groupes valident aussi la communautarisation de la société : chacun dans son groupe, c’est au fond l’individualisme à une échelle collective, soit ce qu’il y a de pire dans le communautarisme, à savoir non pas la communauté mais la tribu, et la juxtaposition des tribus sans lien entre elles. C’est en d’autres termes la fin de l’espace public. Nous allons ainsi vers « un pays libanisé » dit Natacha Polony (Le pire est de plus en plus sûr, Mille et une nuits, 2011). C’est le règne du chacun pour soi et du chacun chez soi, chacun dans sa communauté – celle-ci n’étant qu’une caricature des liens communautaires anciens. Avec la fin de l’espace public c’est bien sûr aussi la fin de la France qui se profile. C’est le grand abandon.

    De quoi s’agit-il pour les maîtres de notre politique éducative ? De déconstruire le concept de nation au nom de la diversité. Entendons-nous : la diversité des origines existe, et en France existent même les « petites patries » locales dont parlait Jules Ferry (et qu’il ne niait nullement mais voulait lier en une nation tel un bouquet), et a fortiori la diversité des origines avec l’immigration de peuplement. Mais à partir du moment où des millions de personnes ont été amenées à vivre en France et à s’y installer définitivement il est prioritaire de leur donner les moyens de s’y acclimater. Comment ? En enseignant d’abord l’histoire de France et d’Europe, la géographie, la langue française. Et en enseignant d’une certaine façon. Parce qu’il ne suffit pas de se mettre ensemble autour d’une table pour apprendre. Il n’y a pas à désamorcer l’angoisse de ne pouvoir arriver à apprendre. Qui ne l’a pas connue ? Cette angoisse est naturelle. Elle peut justement être desserrée en avançant sur des bases fermes, solides, universelles dans notre pays. Il fut une époque où tel jour à telle heure tous les écoliers de France faisaient la même dictée. Ce n’était pas si idiot. Cela indique un chemin : une éducation dans un pays doit être universelle, commune, en continuité d’un bout à l’autre du territoire. Elle doit créer un socle de références communes, et cela d’autant plus que les origines de chacun sont diverses. En effet, ce socle commun est d’autant plus nécessaire que manque la culture commune entre les élèves, d’autant plus nécessaire quand elle se résume au consumérisme et à l’américanisation des moeurs. C’est pourquoi la tendance actuelle dans l’éducation est néfaste. Quelle est-elle ? Elle est de valoriser les expérimentations, les autonomies des établissements d’enseignement. C’est le discours de la dérégulation appliqué à l’école après avoir été appliqué à la finance à partir des années 1980-90. Dans l’école post-républicaine, chacun expérimente, et chacun s’évalue. Au nom de la créativité. Un beau mot pour dire la fin d’un socle commun de connaissances. Depuis la loi Fillon de 2005 cette tendance s’accélère. Les expérimentateurs libéraux se retrouvent au fond d’accord sur la même politique que les « innovants » libertaires. Daniel Cohn-Bendit est l’archétype politicien de cette convergence. Tous deux, libéraux et libertaires, ont cessé de croire à l’espace public de l’éducation. Du fait de leur action conjointe, culturelle pour les libertaires, politique pour les libéraux (de droite ou de gauche), la tribalisation des établissements est en marche, en phase avec la tribalisation-barbarisation de la société. Dans le même temps, l’idée de savoirs à connaitre est abandonnée au nom de l’efficacité économique, que défendent aussi bien la droite que la gauche. Les savoirs laissent la place à des « compétences », concept flou à la mode. C’est un processus de dé-civilisation : il s’agit non plus de maitriser des connaissances, de les évaluer par des notes forcement individuelles, de progresser vers un savoir donnant la capacité d’être citoyen mais d’acquérir un savoir-être utilitaire, bref d’être adaptable dans le monde de l’entreprise. Fluide et flexible. Dans ce domaine la démagogie face à la préoccupation de l’emploi fait rage, surfant sur l’angoisse des Français. On ne parle d’ailleurs plus de métiers, qui supposent des connaissances précises mais de l’emploi, qui suppose une malléabilité continue. Il s’agit donc de créer l’homme nouveau flexible. Dévaloriser les connaissances précises et valoriser les « savoirs-être » c’est la révolution anthropologique de l’école nouvelle, l’école d’après la France et d’après la République, l’école d’après les nations (en tout cas les nations d’Europe). Curieusement la campagne électorale de 2007 s’est jouée sur d’autres thèmes. C’est en défendant, dans la lignée d’Henri Guaino, les principes d’une école républicaine que Nicolas Sarkozy a gagné, y compris en séduisant un électorat de gauche sur ces questions. (Il n’est pas exclu qu’il tente la même manœuvre). A t il appliqué ses principes affichés dans les meetings et discours ? Aucunement. La droite, malgré quelques tentations de bonnes mesures sous Xavier Darcos, est vite revenue avec Luc Chatel à la conception de l’enseignant-animateur, une conception plus en rapport avec l’air du temps.

    En conséquence, la sélection sociale se fait de plus en plus en dehors de l’école publique, gratuite et laïque. L’abandon de la méritocratie prive les classes populaires de toute possibilité d’ascension sociale. A la place de l’ascenseur social par l’école publique un leurre est mis en place : c’est la diversité chère à tous nos gouvernants, de la droite américanisée à la gauche multiculturelle à la Jack Lang en passant par l’omniprésent Richard Descoings patron de « sciences po Paris », membre du club Le Siècle et diversito-compatible s’il en est. A ce stade, le chèque-éducation représenterait l’officialisation de la fin de l’école républicaine. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’est pas appliqué. Trop voyant. Trop symbolique. Il manifesterait trop clairement cette fin : il s’agit en d’autres termes de maintenir la fiction, le manteau vide de l’éducation « nationale, laïque et publique ». La diversité participe de l’abandon de la méritocratie. De quoi s’agit-il ? De faire entrer des élèves dans des institutions prestigieuses en les exonérant de l’accès classique, en ouvrant une voie privilégiée. Comme si on reconnaissait implicitement qu’ils sont incapables de réussir le concours normal de ces institutions – ce qui est faux sauf que ce ne serait sans doute pas les mêmes qui seraient admis. A l’inverse, une bonne politique républicaine serait de développer des aides aux devoirs, des bourses d’étude, des internats d’excellence pour aider à la réussite dans ces concours des jeunes issus de milieux populaires. Avec la « politique de la diversité » il s’agit en fait de former une petite élite hyper-adaptée au système économique et de lui offrir la collaboration (lucrative : les jeunes de la diversité admis dans les grandes écoles choisissent souvent… la finance) avec le turbocapitalisme tandis que l’immense masse des jeunes de banlieue resteraient l’armée de réserve du capital. Nous avons donc du coté des gouvernants, de droite comme de gauche, des pédagogistes ou ludo-pédagogistes pour qui chaque jeune doit découvrir en lui ses « savoirs faire enfouis » et développer un savoir-être basé sur le « vivre–ensemble », une autre formule magique. Et nous constatons dans le même temps que ce spontanéisme éducatif est prôné tandis que la barbarisation de certains jeunes, pourtant bel et bien passés par l’école s’accroit (cf. L’affaire Ilan Halimi). C’est en fait l’abandon de la dimension verticale de l’éducation qui est en cause dans la perte des repères que l’on observe. Il y a toujours eu des gens rétifs à se conformer à une certaine noblesse d’âme. Mais il fut un temps où on enseignait cette noblesse. Chacun savait plus ou moins qu’elle existait, sans s’y conformer pour autant. Désormais, le nihilisme qui se manifeste dans la société et dans l’éducation tend à dire que tout vaut tout, que l’élève doué et/ou travailleur doit être noyé dans le groupe. Pour ne pas « stigmatiser » les nuls. Face à cela les instructionnistes sont ceux qui disent : il y a des choses à apprendre, et pas seulement des savoirs être à acquérir. En d’autres termes le meilleur apprentissage du « savoir-être » - si on tient vraiment à avancer cette notion - c’est le sens de l’effort et du travail. On appelle aussi les instructionnistes les « républicains ». Je suis républicain. C’est de cela qu’il s’agit : d’affirmer que la République est autre chose qu’une démocratie des ayants droits où chacun serait réduit à un consommateur tranquille, avec une pondération raisonnable d’insurgés incendiaires, de façon à entretenir la peur sécuritaire (bien légitime face à des agressions bien réelles) et à empêcher toutes luttes sociales, si nécessaires pourtant, si légitimes quand le système de l’hypercapitalisme financier attaque les classes populaires, les salariés et les classes intermédiaires avec une détermination sans précédent.

    Refaire une instruction publique et républicaine pour former des citoyens qui iraient vers les luttes de libération sociale et nationale du peuple de France c’est là l’enjeu.
    Pierre Le Vigan (Voxnr, 5 novembre 2011)
     
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  • La banlieue contre la ville

    Nous vous signalons la parution, aux éditions de La barque d'or, de La banlieue contre la ville, un essai Pierre Le Vigan. Urbaniste, Pierre Le Vigan réfléchit sur la question de la ville depuis près de trente ans. Collaborateur des revues Eléments et Krisis, il a récemment publié La Tyrannie de la transparence (L'Æncre, 2011), le deuxième volume de ses carnets, ainsi qu'un essai intitulé Le malaise est dans l'homme (Avatar, 2011).

    Le livre (18 euros, 248 p) peut être commandé par courriel à : labarquedor@hotmail.fr ou sur le site : http://la-barque-d-or.centerblog.net/

     

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    "La ville n'est plus ce qu'elle était et les banlieues sont bien autres que ce qu'étaient les faubourgs. Les banlieues étaient le prolongement de la ville. Elles se sont retournées contre elle. Elles sont devenues des anti-villes.

    Impossible de se désintéresser de la question de la ville. L'immense majorité des Français y vit. Mais qu'est-ce que la ville ? Rien d'autre que le territoire emblématique de notre histoire. C'est pourquoi, elle est plongée dans la crise de la modernité. Arraisonnée par la technique, dilatée dans l'espace, la ville flotte à la surface des temps modernes. L'idéologie de la table rase, le mépris pour l'architecture vernaculaire, propre à un pays et une époque, au profit de modèles rationalistes universels ont amenés à la constitution d'immenses et peu vivables banlieues de grands ensembles. le déracinement est devenu la règle. A quoi bon « faire de la ville » (ou la refaire) si notre destin est d'être nomade.

    Pourtant, l'homme a toujours besoin d'enracinement. l'homme a besoin de se sentir « chez soi », y compris en ville. mais, il faut pour cela voir à nouveau la ville comme un paysage, la reconstruire comme tel, et réhabiliter la notion d'identité locale, d'habitat, de lieu, de site.

    L'histoire de la ville que relate l'auteur ouvre des pistes de réflexion et donne des raisons d'espérer et d'agir. l'avenir de la ville n'est écrit nulle part. Entre le grand ensemble et la marée pavillonnaire, d'autres voies sont possibles. Le choix n'est pas, d'un côté, le vieux rêve de « construire les villes à la campagne » et, de l'autre, poursuivre l'extension sans fin de la banlieue. Le devenir-banlieue n'est pas inéluctable. Les idées de notre modernité ont mené la ville là où on sait. D'autres idées peuvent la mener ailleurs. Demain, la ville sauvée de la banlieue?"

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